dimanche 27 février 2011

Montpellier : "Journal de Rivesaltes"
de Jacqueline Veuve

Le journal de Friedel Bohny-Reiter à la 4ème Semaine de Cinéma Suisse à Montpellier

Journal de Rivesaltes, film à MontpellierQuoi de plus logique pour un festival de cinéma suisse que de programmer des films qui parlent de la vie en Suisse ? - Les organisateurs de la 4ème semaine de Cinéma Suisse avaient l'idée de montrer aux Montpelliérains les préoccupations quotidiennes des habitants de leur pays : les travailleurs immigrés, le multilinguisme, les différences entre ville et campagne...

Toutefois, dans la programmation de la 4ème Semaine de Cinéma Suisse, il y avait un film qui sortait du rang. Journal de Rivesaltes ne joue pas chez nos voisins, comme les autres films du festival, mais en France, à Rivesaltes dans les Pyrénées-Orientales. Son sujet : le camp de Rivesaltes 1941-1942.

La réalisatrice du film, Jacqueline Veuve, avait l'habitude de passer ses étés dans les Pyrénées-Orientales. Les ruines du camp de Rivesaltes ne se trouvaient pas loin de son lieu de vacances. "J'ai vu les baraques, mais personne ne pouvait me dire ce qui s'y est passé en vérité." Intriguée, elle s'est mise à faire des recherches - sans résultat, jusqu'au jour où elle tombe sur le journal de Friedel Bohny-Reiter.

"Ce qui m'a frappé, c'est que j'ai vu ce camp pendant vingt ans sans connaître son histoire. Sans ce livre, je n'aurais jamais découvert les faits." Et ce n'était pas faute de poser la question. Elle a interrogé des gens à Perpignan et dans les environs directs du camp. Mais tout ce qu'on lui a révélé, c'était son passé en tant que camp pour les réfugiés de la guerre en Espagne. "Personne n'a jamais parlé des juifs ou des gitans."

Dès que Jacqueline Veuve avait lu le livre de Friedel Bohny-Reiter, elle savait qu'elle voulait en connaître l'auteur. Friedel Bohny-Reiter était infirmière, engagée dans le "Secours suisse aux enfants". Cet organisme, la croix blanche suisse, l'avait envoyée à Rivesaltes.

Jacqueline Veuve, Le Journal de RivesaltesSa tâche, officiellement, ne consistait qu'à s'occuper des enfants. Mais Friedel Bohny-Reiter n'était pas femme à pouvoir voir la misère sans intervenir, incapable de traiter différemment les adultes ou les enfants, les réfugiés espagnols, les gitans, les juifs français ou allemands. Tout ce qui comptait pour elle, c'était l'être humain. Et la souffrance...

"J'aurais fait ce film, même si Friedel Bohny-Reiter n'avait pas été envoyée par la Suisse", répond la réalisatrice, Jacqueline Veuve, à la question de l'équipe des Gens de Montpellier. "On ne peut pas être insensible à ces souffrances." Pourtant, elle n'a jamais su, si les habitants des environs ne voulaient pas parler de la vérité ou si, tout simplement, ils ne la connaissaient pas. À l'époque, les gens, même dans la zone soi-disant libre, vivaient avec la peur. Peut-être valait-il mieux ne pas être au courant de ce qui se passait derrière les fils barbelés, dans ce camp exposé au soleil brut en été, livré au froid et à la tramontane en hiver...

Quelqu'un aurait-il préféré que la version du "camp de réfugiés espagnols" entre pour toujours dans l'histoire ? De toute façon, le livre de Friedel Bohny-Reiter - et, plus tard, le film de Jacqueline Veuve - a révélé la vérité. Il n'est pas faux qu'il servait comme camp pour les réfugiés de la guerre de Franco, mais il y avait aussi les gitans et, surtout, les juifs.

Friedel Bohny-Reiter qui, jouant son propre rôle, raconte au spectateur la vérité sur ce qui s'est passé à Rivesaltes entre 1941 et 1042, se demande à la fin du film, s'il peut y avoir un "sens" dans toute cette souffrance. Elle parle de tous ces gens qu'elle a vu mourir, de faim, de froid, de privations, de ces humains qui sont décédés le désespoir dans le cœur, qui avaient renoncé à l'idée que de meilleurs jours étaient encore possibles. Des mères qui ont fermé les yeux avec le seul espoir que Friedel Bohny-Reiter, l'ange venu de la Suisse, s'occuperait de leurs enfants...

Toutefois, un jour, le camp a été levé. Ce jour-là, une partie des survivants ont été déportés, dans d'autres camps, pour la plupart, mais vers la vie. Il n'y avait qu'un seul groupe dont le destin, en ce moment, était définitivement la mort : les juifs. Tous les juifs qui avaient survécu les supplices de Rivesaltes ont été amenés - à Auschwitz. Livrés par le gouvernement français aux diables nazis.

Friedel Bohny-Reiter en a pu sauver quelques-uns, cacher quelques enfants juifs chez elle ou parmi les autres. Mais pas assez, comme elle fait comprendre aux spectateurs du film. Et ce "pas assez" pèse plus lourd pour elle que toutes ces vies qu'elles a préservées.

"À la fin, quand le camp a été radié, les juifs étaient les seules vraies victimes. Ils ont été tués, tandis que les autres ont été déportés", commente Jacqueline Veuve. Est-ce la raison pour laquelle personne dans les environs de Rivesaltes ne se rappelle plus la destination du camp ? Il n'y aura jamais de réponse à cette question. - "L'antisémitisme n'était pas restreint à l'Allemagne", dit la réalisatrice, et on a l'impression qu'elle l'a dit si souvent que les mots n'arrivent plus à la blesser. Comme si, après qu'elle s'est investie dans ce film, la souffrance ne pourrait plus grandir. "Il était partout en Europe, autant en Suisse, en France, en Allemagne..."

Ensuite, toutefois, elle ajoute ce qui sonne comme un message d'espoir. "Mais ce n'était jamais tout le monde. Il y avait toujours des gens qui aidaient." Toujours et partout. C'est cela la pensée qui domine son film.

Mais l'œuvre de Jacqueline Veuve changera-t-elle les esprits ? "Les gens n'ont pas envie de savoir. Ils ont toujours besoin d'un bouc émissaire. Le film ne va pas changer leur mentalité."

Aspect remarquable : au contraire de beaucoup d'autres films sur le sujet, "Journal de Rivesaltes 1941-1942" ne prend aucune position politique. Il ne parle que des gens, des humains, de la souffrance, du sourire des personnes qui, comme Friedel Bohny-Reiter, amènent une lumière minuscule dans une obscurité presque impénétrable, de leurs doutes, du désespoir. Les spectateurs (ou la plupart des spectateurs) ne pleurent pas pendant qu'ils regardent ce film. Les larmes qui, souvent, viennent si facilement dans les salles de cinéma sont comme bloquées. On n'est pas capable de se libérer des images en versant quelques larmes. On est comme paralysé, la souffrance exposée sur l'écran est trop grande. Trop humaine, surtout.

"Je suis très peu politique dans mon film", constate aussi Jacqueline Veuve. Et pour cause. "Un réalisateur qui met de la politique dans un tel film se donne bonne conscience." Il veut prouver qu'il est du "bon côté", qu'il fait partie de ceux qui clouent les méchants au pilori. "Tout ce que je veux, c'est réveiller les gens. Sans politique et sans montrer à quel point je suis 'bonne'."

Après le tournage du film, Jacqueline Veuve et Friedel Bohny-Reiter sont restées amies jusqu'à la disparition de l'infirmière. La réalisatrice raconte qu'elle a eu une mort tranquille. "Elle s'est allongée pour se reposer. Et elle ne s'est plus réveillée." S'endormir pour le repos éternel - peut-être est-ce cela la récompense bien méritée de l'ange du camp de Rivesaltes...
Photos et texte : copyright Doris Kneller

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