Ces Montpelliérains qui se sentent victimes des revendications des autres...
Une dame dans la quarantaine, des sacs de victuailles devant les pieds,
se tient à l’arrêt de la ligne 2 où le prochain tram est annoncé pour 30
minutes plus tard. « Si j’avais une voiture », répond-elle à la
question d’un membre de l’équipe de Montpellier Presse
Online, je ne serais pas ici en train d’attendre le tram.
Et j’en suis bien punie. » Elle fait un geste vers ses sacs. « Avec
les courses, je ne peux pas aller à pied, c’est trop loin. Je suis alors
condamnée à attendre. Je dois passer à la maison, faire à manger pour les
enfants et aller travailler - je serai forcément en retard. »
« Mais cela », poursuit-elle, « n’intéresse personne. Ils
font la grève pour avoir plus de sous ou je ne sais pas quoi - ils ne daignent
même pas le dire. Mais moi, je paie le prix. Pas les riches qui ont leurs
voitures et s’en balancent de la grève. Juste des gens comme moi, les pauvres,
qui n’ont pas d’autre moyen de locomotion. »
La dame n’est pas la seule à être en colère contre la grève du tram - « l’énième
jour de grève », comme l’exprime un étudiant. Et un Monsieur dans la
cinquantaine enchaîne : « Pour qui ils se prennent ? Ils
demandent notre solidarité, mais en vérité, ils ne savent même pas ce que c’est.
Avez-vous jamais vu un seul employé de la TaM solidaire avec qui que ce soit ?
Pensent-ils aux gens qui ont besoin du tram pour aller travailler ou pour faire
leur vie ? Non. Ils ne pensent qu’à eux-mêmes. »
Ce manque de solidarité de la part des grévistes tracasse beaucoup des
Montpelliérains interrogés. « Je suis infirmière », raconte une dame
également dans la quarantaine. « Quand nous avons fait la grève contre nos
conditions de travail, notre mouvement est resté très petit. Parce que personne
n’était solidaire. A l'hôpital, on se plaint si nous ne sommes pas assez rapides,
mais personne ne veut connaître nos conditions de travail. Pourquoi les camions
n’ont-ils pas bloqué les routes pour nous aider ? S’ils demandent
solidarité à nous, ils pourraient aussi être solidaires avec nous. »
La grève des camions fâche autant de Montpelliérains que celle des
employés de la TaM. Une dame dans la soixantaine raconte que sa fille travaille
près de Mulhouse. « Elle avait prévu de venir nous voir juste le week-end
des grèves. Ça fait longtemps qu’on ne l’avait pas vue, elle a rarement le
temps, sauf ce week-end là. A cause de la grève, elle a passé beaucoup plus d’heures
sur l’autoroute que normalement. Quand elle est arrivée, elle était si épuisée,
elle aurait pu avoir un accident. »
Pour beaucoup de Montpelliérains, le terme « accident » rime
avec « grève de camions » : « La grève des camionneurs me
fait très peur », explique par exemple une dame dans la trentaine. « Ils
provoquent des ralentissements et des arrêts à des endroits dangereux. Les
automobilistes sont stressés et peuvent facilement perdre la concentration
pendant qu’ils roulent. »
La différence entre la grève des camions et la grève des trams ? - Selon
une dame dans la quarantaine, elle consiste dans la quantité des informations
reçues par les usagers : « Pour les camions, on connaît les revendications,
on les diffuse à la télé. Mais pour les trams, on ne sait strictement rien. On
découvre l’annonce de la grève aux stations, c'est-à-dire juste l’annonce, dans
le style : ‘perturbations demain sur toutes les lignes’, mais on ne sait
pas pourquoi. On a l’impression qu’ils ne cherchent qu’une journée de vacances
supplémentaire. »
Mais pas tout le monde n’est contre la grève. « La grève est le seul moyen pour exprimer nos revendication », est l’opinion d’un
Monsieur d’une trentaine d’années. « Si nous ne sommes pas d’accord avec
les patrons, nous n’avons que deux possibilités : rouspéter ou faire la grève.
Parfois, la grève ne sert à rien, mais c’est une forme d’expression tout de
même. »
Un autre Monsieur d'à peu près le même âge n'est pas d'accord. « Regardez l'histoire. On dit toujours qu'il faut apprendre de l'histoire. Tous les grands mouvements de grève ont porté des résultats. Sans ces grèves, les ouvriers d'aujourd'hui auraient beaucoup plus de problèmes. Si on nous enlève le droit de la grève, on nous prive la dernière arme de la démocratie. »
La dame dans la quarantaine pense aussi que la grève ne sert à rien, mais
elle plus stricte que les hommes interrogés avant elle : « On fait la
grève ou pas, ça ne change rien. Ceux qui ont le pouvoir ne pensent pas à nous,
mais uniquement à leurs propres avantages. Si on travaille ou pas, si on
proteste ou pas, tout pareil. Mais, malgré tout, il faut faire la grève. Pour
leur montrer qu’on existe, qu’on n’est pas les moutons qu’ils veulent faire de
nous. »
Une autre dame, un peu plus âgée que la précédente, ne peut pas se
décider entre les victimes d’une grève et son utilité : « Quand on
fait la grève, il y a toujours quelqu’un qui souffre. Si le tram fait la grève,
les gens ne peuvent pas vivre normalement. Si les camions bloquent les routes,
plein de vacanciers ou des gens qui voyagent pour leur travail en souffrent. C’est
toujours comme ça, et je trouve que ce n’est pas normal. Mais si on ne fait
rien contre le patronat, ce n’est pas bien non plus. En fin de compte, il
faudrait trouver une autre forme de lutte. »
Une autre forme de lutte - une idée sortie par plusieurs des
Montpelliérains interrogés. « Il faudrait trouver quelque chose qui
dérange directement les responsables », dit par exemple un Monsieur dans
la quarantaine. « Une grève devrait nuire à ceux qui nous font du mal, pas
à des innocents qui subissent les mêmes problèmes que les grévistes. » Un
étudiant est plus radical : « Si les employés d’une entreprise sont
mal traités, s’ils travaillent sous de mauvaises conditions ou s’ils ne sont
pas suffisamment payés, et si les patrons ne font rien pour corriger le
problème, ceux-ci devraient être punis par la loi. Faire travailler les gens sans
les payer à leur juste valeur devrait mener à la prison. Si la loi aidait
les faibles, ils n’auraient plus besoin de faire la grève. »
Photos et texte : copyright Doris Kneller
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