Le deuil des Montpelliérains: 134 ans d'histoire du Cinéma le Royal
« J’ai adoré les sièges du Cinéma le Royal », se rappelle une
dame dans la quarantaine, « ils étaient très agréables. Je pouvait rester
assise pendant des heures sans avoir des courbatures. Mais »,
ajoute-t-elle avec une voix triste, « j’aurais peut-être dû y aller plus
souvent. »
La dame parle de son souvenir en utilisant le passé. Car désormais, un des
symboles les plus réputés de Montpellier n’existe plus : le Cinéma le
Royal a définitivement fermé ses portes. Après 134 ans de projection de films
et d’histoire de cinéma montpelliérain, il ne reste qu’un « grand trou
culturel dans la rue Boussairolles, à côté de la Comédie », comme
l’exprime un Monsieur de quelque cinquante ans.
Les Montpelliérains cinéphiles sont en deuil, les institutions culturelles
de Montpellier ne sont plus au complet. « Comment est-ce possible qu’un
cinéma qui existe depuis », la dame d’une trentaine d’années hésite,
« j’imagine les débuts de l’histoire du cinéma, comment peut-il ne plus
travailler, du jour au lendemain. »
C'est la question que se posent beaucoup de Montpelliérains. Ils ont bien
vu que, depuis octobre dernier, le cinéma restaient fermé, mais « j’ai
pensé », réfléchit un étudiant, « que ce n’était que temporaire. Je
me suis dit qu’on y fait des travaux du mise à norme, comme au Diagonal il y a
quelques ans. Mais qui aurait pu prévoir que la fermeture est pour de
bon ? »
« Quand j’étais toute petite », se souvient une dame dans la
soixantaine qui, comme elle l’explique, est née à Montpellier et n’a jamais
quitté Montpellier, sauf pour bronzer à la plage de Carnon ou faire quelques
petites vacances en Espagne, « je suis déjà allé au Royal. A l’époque, l’entrée
ne coutait pas cher, ma mère pouvait me le payer pour me récompenser quand je
travaillais bien à l’école ou, aussi », elle sourit, « pour se
débarrasser de moi et être un peu tranquille. »
L’étudiant et la dame dans la soixantaine n’ont pas tort. Le bâtiment,
toujours admiré par ceux qui le découvrent la première fois, date du 19ème
siècle, et le cinéma a projeté son premier film vers 1880. Mais cela ne veut
pas dire qu’il s’est reposé sur son statut de « monument » : il
était le premier cinéma à Montpellier - et un des premiers dans toute la France
- qui a appliqué la technique du son THX et Domby Stéréo, la 3D et, enfin, le
numérique.
Ce n’est donc pas faute d’installations modernes que le cinéma le Royal a
fermé ses portes. « Si vous me demandez », dit un Monsieur dans la
cinquantaine, « il ferme à cause des multiplexes. Dans le papier collé sur
la porte du Royal on a parlé de problèmes techniques. Mais je n’y crois pas,
c’est certainement une excuse pour ne pas révolter les gens. En vérité, ils
n’ont pas pu tenir contre les multiplexes. Au lieu de soutenir le vieux cinéma au
centre de Montpellier, les gens vont à l’Odysseum pour voir leur film, perdus
dans la foule, dans un bâtiment triste et anonyme. »
Les pertes dues aux deux multiplexes de Montpellier - à l’Odysseum et à
Lattes - jouent certainement un rôle dans la fermeture du Royal, mais ce n’est pas
la seule raison. Une dame dans la cinquantaine semble bien informée :
« J’ai lu que les inondations d’octobre dernier ont donné un coup au
bâtiment du cinéma le Royal. Il semble qu’il est devenu dangereux. Pour
continuer, le cinéma devrait donc entamer des travaux importants. J’imagine que
ses propriétaires n’ont pas les moyens suffisants. »
Un Monsieur d’à peu près le même âge, bien informé lui aussi, voit le
problème d’un autre point de vue. « Il y a des choses que je ne comprends
pas. Si la fermeture du cinéma est due à un problème de bâtiment, il suffit de
faire les travaux de réparation. Normalement, tous les bâtiments sont assurés,
l’assurance devrait donc payer la facture. Les responsables ne veulent-ils pas
plutôt profiter de la situation pour finir avec une entreprise qui ne portait
plus grand-chose ? »
Une dame d’une quarantaine d’années a également entendu parler de la nécessité
d’entamer des travaux. « Le cinéma le Royal n’est pas un multiplexe »,
admet-elle, « il n’y a pas énormément de finances en jeu. Le cinéma
accueille moins de monde, les recettes sont donc plus petites, peut-être pas
suffisants pour les travaux. Mais à quoi servent la ville, la région, l’état ?
N’oublions pas que ce cinéma est un monument de la culture montpelliéraine. Il serait
donc normal qu’on fasse tout pour le conserver. Mais non - la ville et la région
dépensent leur budget pour le foot, le Stade à la Mosson. Logique, le foot est plus important que
la culture. Ou y a-t-il peut-être plus d’argent à gagner avec le foot qu’avec
les films ? »
Quoi qu'il en soit, les Montpelliérains sont tristes. « Au Royal, on avait
toujours les films les plus actuels », se plaint un étudiant. « On n’avait
pas besoin de sortir de la ville pour voir les derniers films, sa situation à
la Comédie était si pratique. » Et une dame dans la quarantaine proclame :
« Ils l’ont voulu, je ne vais plus au cinéma. Je n’aime pas les
multiplexes, le Gaumont à la Comédie est trop cher et je n’aime pas toujours sa
programmation. Reste le Diago. Mais là, les chaises sont trop inconfortables. »
Photos et texte : copyright Doris Kneller
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